la reconversion professionnelle gagne-t-elle (vraiment) du terrain ?
30 mai 2023
Certes, de plus en plus de travailleurs aspirent à une vie professionnelle différente. Mais en réalité, même si leurs intentions sont fortes, peu osent véritablement se reconvertir.
Tout quitter pour changer de vie… Beaucoup de salariés en rêvent. Surtout depuis la crise du Covid-19, qui a interrogé la valeur travail et, par effet de ricochet, accélérer « les envies d’ailleurs » des actifs.
💡Selon une étude réalisée en avril 2023 par l’IFOP pour Orient’action, 87 % des salariés se disent prêts à changer de métier. Pour autant, si les chiffres indiquent que la reconversion professionnelle n’est plus un tabou, il est difficile de conclure qu’elle gagne véritablement du terrain.
Et pour cause : « si les intentions des salariés sont là, elles ne se transforment pas forcément en actions », rappelle Pierre Lamblin, directeur des études à l’APEC. Sur les 31% de cadres portant un projet de reconversion, seuls 8 % ont entamé des démarches, soulignait une étude réalisée en mai 2022 par l’APEC. Dans 6 cas sur 10, ces reconversions n’étaient pas radicales : les cadres s’orientaient majoritairement vers un métier proche de leur métier actuel. Cela découle en partie « du sentiment de difficulté associé à la reconversion », expose l’étude. A ce titre, une majorité de cadres (56%) considère que se reconvertir n’est pas une démarche aisée.
« Les actifs ont tendance à penser que la reconversion professionnelle est un remède à un mal-être, un inconfort ou un questionnement. Or, ils confondent le symptôme et le remède. Changer radicalement de carrière n’est pas forcément la meilleure solution. C’est aussi la raison pour laquelle le passage à l’acte n’est pas si dominant », analyse Laurent Polet, professeur à l’École Centrale Supélec et cofondateur de Primaveras, un réseau d’écoles dédiées à la reconversion professionnelle.
la quête de sens : moteur de la reconversion
Même si le mot « reconversion » revêt aujourd’hui plusieurs définitions, une poignée d’études ont été réalisées pour tracer le nombre de transitions professionnelles. Selon une étude du Cereq publiée en février 2022, environ 2 millions d’actifs français auraient changé de métier ces 5 dernières années. Un chiffre à prendre avec des pincettes puisqu’il inclut à la fois des changements de métier et des changements de statut (salariés devenus indépendants, non-cadres devenus cadres…). L’organisme France Compétences s’est également penché sur la question : d’après son étude conduite en 2021 sur les reconversions réalisées au cours des 5 années précédentes, 17 % des salariés du privé auraient réalisé une reconversion active et volontaire (en engageant personnellement des démarches).
La multiplication des dispositifs d’aide à la reconversion – CPF en tête – mais aussi des formations continues n’y est pas pour rien. Le point commun de l’ensemble de ces profils, c’est qu’ils souhaitent améliorer leurs conditions de travail. D’après l’étude de l’IFOP, les raisons principales qui les encourageant à changer de carrière, quel que soit leur âge :
- obtenir un meilleur équilibre vie pro/vie perso (17 % des réponses)
- et exercer un métier moins stressant (12 %).
À ces enjeux, s’ajoute celui de la quête de sens, de plus en plus cité par les salariés. « Un nombre croissant d’actifs évoque une volonté d’agir en faveur de la transition écologique et sociale, donc de faire de leur travail un outil de transformation de la société », indique Laurent Polet. Des raisons qui se confrontent toutefois à plusieurs freins : la peur du risque – souvent liée à l’éventuelle perte de salaire qu’un changement de poste supposerait – mais aussi la modification de leur représentation sociale, à laquelle certains cadres sont attachés.
la fin des carrières linéaires ?
Avec l’évolution du travail et la précipitation de l’obsolescence des compétences qu’elle engendre, les transitions professionnelles pourraient-elles s’imposer d’elles-mêmes dans les années à venir ?
Pour Laurent Polet, la réponse est non. « Les précédentes générations, aujourd’hui incarnées par nos seniors, ont, elles aussi, connu des changements radicaux, souvent au titre de la transformation digitale, sans pour autant avoir recours à la reconversion », rappelle-t-il.
Ce qui va changer, c’est plutôt notre rapport aux changements. Ces derniers seront vus plus positivement. « Les actifs s’affranchiront plus facilement de leur diplôme et auront certainement davantage de détachement par rapport aux voies toutes tracées qu’il leur offrait jusqu’ici », estime Laurent Polet.
Quoi qu’il en soit, c’est le marché du travail qui continuera de donner le ton, les aspirants à la reconversion étant forcément plus nombreux à vouloir passer du fantasme à la réalité lorsqu’il subsiste une forte tension en matière de recrutements. Avec l’évolution des mentalités, on peut quand même supposer que les reconversions professionnelles pourraient, à l’avenir, être davantage choisies que subies. À condition, toutefois, que les actifs acceptent d’être acteurs de leur employabilité et que les entreprises adaptent leur stratégie RH à ce nouveau paradigme.
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