la construction hors site.
14 juin 2024
Alors que le modèle historique du secteur de la construction semble à bout de souffle, il est urgent d’envisager de nouveaux modèles constructifs qui répondent aux impératifs d’efficacité et de durabilité. Dans ce contexte, l’approche hors site se présente comme une solution pragmatique. En préfabriquant des éléments complexes en dehors du chantier, la construction hors site associe aux avantages de la préfabrication, ceux de l’industrialisation. De la phase de conception à l’assemblage, comment cette méthode bouleverse-t-elle les pratiques traditionnelles ? Quels impacts sur les métiers de la construction ? Interview avec Romain Gérard, CEO et fondateur de FrameWorks et enseignant spécialisé en construction hors site au sein de l’ESTP.
dans quel contexte le secteur de la construction en France se situe-t-il actuellement ?
En France, le secteur de la construction subit actuellement une triple dette. Il n’a pas connu d’évolution significative depuis plus de 60 ans, contrairement à d’autres secteurs, notamment de l’industrie. Ensuite, il peine à opérer sa révolution numérique et digitale depuis près de vingt ans. Enfin, à l’heure de l’urgence liée au réchauffement climatique, la filière doit également faire face à une nouvelle équation environnementale avec l’impératif de réduire son impact carbone. Ce contexte crée des contraintes importantes pour l’écosystème de la construction, l’incitant à innover et à se réinventer sous une forte pression, exacerbée par la crise actuelle dans l’immobilier et les défis macroéconomiques tels que l’instabilité des chaînes d’approvisionnement internationales.
À ces difficultés s’ajoute le départ à la retraite d’une génération de travailleurs expérimentés au savoir-faire précieux, issus de la génération des baby-boomers. Alors que le secteur de la construction peine à attirer de nouveaux talents qualifiés, cette situation contribue considérablement aux contraintes liées aux coûts et aux délais dans le secteur.
qu’est-ce que la construction hors site ?
Il n’y a pas de consensus clair sur sa définition, car le hors-site regroupe un large panel de systèmes constructifs. Pour résumer, c’est une méthode qui consiste à préfabriquer des composants en dehors du chantier. Cela induit une évolution des méthodes de travail et de construction car le hors-site va plus loin que la simple préfabrication : il s’agit de préfabriquer des éléments à forte valeur ajoutée, souvent en combinant plusieurs corps de métier dans un seul composant, ce qui nécessite une conception et une fabrication plus complexes.
quels sont les avantages du hors-site ? En quoi ce nouveau mode de construction permet-il de pallier les difficultés du secteur ?
Les bénéfices de la construction hors site sont multiples : réduction des délais de chantier, réduction des nuisances de chantier, maitrise de la qualité, amélioration de l’impact carbone, réduction des déchets… En adoptant ces systèmes, les délais sur le chantier sont considérablement réduits, ce qui permet une livraison plus rapide des projets. Par exemple, avec la construction modulaire, des éléments 3D, entièrement finis, peuvent être préfabriqués en usine pendant que les travaux de préparation du site sont en cours, ce qui réduit les temps d’attente et les retards potentiels.
Cette méthode est particulièrement avantageuse dans des segments de marché avec une certaine répétitivité, tels que les résidences étudiantes ou seniors, les Ehpad, ainsi que dans l’hôtellerie et certaines typologies de logement, notamment du studio au T2.
Par ailleurs, le hors-site offre généralement une meilleure qualité de construction. En fabriquant les éléments dans un environnement contrôlé, les risques d’erreurs sont réduits, et la qualité peut être plus rigoureusement surveillée. Cela permet d’éviter les problèmes courants sur les chantiers, tels que les défauts de construction et les retards causés par des erreurs de mesure ou d’installation.
Une autre grande avancée réside dans la réduction des nuisances pour les riverains, et de meilleures conditions de travail sur les chantiers. Avec une partie de la construction effectuée en usine, les travaux sur place sont moins éprouvants pour les travailleurs. Il en résulte une réduction des risques de troubles musculosquelettiques (TMS), ce qui n’est pas négligeable lorsque l’on sait qu’ils représentent la première cause de maladie professionnelle dans le secteur du BTP[1].
quels sont les freins à lever pour que le hors-site poursuive plus massivement son essor ?
Bien que dans certains cas le hors-site permette une optimisation des coûts, cette économie n’est pas toujours garantie. Cela dépend de la complexité du projet, des méthodes de construction utilisées et des défis spécifiques rencontrés lors du déploiement des solutions hors site. Il est important de reconnaître que son succès dépend de divers facteurs et que son potentiel d’optimisation doit contourner certains écueils pour être garanti.
Ces nouveaux modes constructifs impliquent de nouvelles méthodes de travail, qui nécessitent des changements profonds de la chaîne de valeur. Du cash flow des opérations à la gestion des délais en passant par le champ normatif, la modification complète de l’écosystème de la construction est en jeu.
Par ailleurs, la nature « industrialisée » du hors-site implique une évolution des compétences nécessaires, en intégrant des savoir-faire issus du monde industriel et non du bâtiment. C’est là que réside l’une des principales difficultés de la filière : faire fusionner le monde de la construction avec celui de l’industrie au profit d’une construction plus efficiente.
quels sont les impacts de la construction hors site sur les métiers de la construction ?
La construction hors site, par sa nature innovante et ses processus industrialisés, modifie profondément les exigences en matière de ressources humaines. Cette transformation conduit à l’émergence de nouveaux métiers et à une redéfinition des compétences nécessaires pour les professionnels du secteur.
S’appuyant sur des outils numériques avancés, notamment les logiciels BIM (Building information modeling), la construction hors site induit une vague de numérisation pour le secteur et nécessite des compétences techniques spécialisées. BIM managers, dessinateurs BIM, spécialistes en construction modulaires, ingénieurs spécialisés en robotique ou encore techniciens en préfabrication sont autant de nouveaux métiers requis pour ces projets de constructions.
Par ailleurs, la construction hors site présente de nombreux avantages sur le volet écologique, par sa capacité intrinsèque à faciliter le démontage et le recyclage, ouvrant ainsi au secteur une voie vers l’économie circulaire de sous-ensemble de bâtiments. Dans cette optique, les nouvelles méthodes constructives vont de pair avec des pratiques plus vertueuses telles que l’utilisation accrue de matériaux biosourcés et géosourcés, les approvisionnements en circuit court, une attention plus importante portée à l’empreinte carbone des matériaux et à la consommation d’énergie des bâtiments, ainsi qu’une meilleure valorisation des déchets et des flux logistiques. Ce dynamisme apporte un élan considérable à plusieurs filières industrielles et impose l’acquisition de nouvelles compétences ainsi que des investissements conséquents en formation.
Cette évolution du secteur implique également la diffusion d’une culture tournée vers le long terme et l’émergence de nouveaux modes de travail, plus collaboratifs, en rupture avec les pratiques traditionnelles et le rapport de force vertical dont l’univers du bâtiment a longtemps pâti.
Ce nouveau modèle nécessite de renforcer les collaborations entre les différents acteurs du bâtiment et d’adresser les difficultés d’interopérabilité des systèmes. La complexité croissante des bâtiments, soumis à des normes de plus en plus rigoureuses, requiert une évolution dans la manière dont ingénieurs et architectes collaborent. Pour maintenir son rôle moteur dans la conception, l’architecte doit progressivement intégrer une expertise technique approfondie, s’adaptant à ces éléments nouveaux et plus complexes.
quels sont les impacts pour les entreprises du secteur en matière de recrutement ?
quels sont les nouveaux métiers du bâtiment et de la construction à recruter ?
Concernant la phase d’exécution des ouvrages, le hors-site implique pour les entreprises de la construction de réorganiser leur chaîne d’approvisionnement en réalisant moins de production en propre, au profit d’une logique d’assemblage. C’est aussi sur la phase aval, et en particulier la dimension logistique, que doit se réinventer la construction. L’un des grands enjeux pour les années à venir sera d’être en capacité de rénover en milieu urbain. Ce nouveau paradigme implique des savoir-faire nouveaux et des formations à mettre en place pour les ouvriers de la construction comme pour les professionnels qui piloteront ces chantiers de rénovation en milieu urbain.
Par ailleurs, il est important de ne pas négliger les softskills. Les nouvelles méthodes constructives nécessitent une grande ouverture d’esprit, un intérêt pour le travail d’équipe et une habileté certaine à repenser les modèles. C’est une véritable logique collaborative qui doit être mise en place, à la fois au sein des entreprises de la construction, mais aussi entre les acteurs économiques et les filières industrielles qui composent le secteur.
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