Flexi-travail : si les entreprises travaillaient à nos rythmes ?
12 mai 2020
Les salariés sont globalement logés aux mêmes horaires. Et pourtant, certains sont contraints de travailler en dehors de leurs rythmes naturels. L’introduction du flexi-travail pourrait être une réponse efficace pour tous : les lève-tôt, les couche-tard, mais aussi les entreprises. En jeu : l’épanouissement, la concentration, la productivité et même l’éthique.
C’est certain : tout le monde n’a pas le même rythme biologique. En effet, selon les personnes, les chronotypes qui dictent les rythmes circadiens individuels (autrement dit les cycles de fonctions physiologiques de 24 heures) diffèrent.
Selon une étude publiée en 2014 dans la célèbre revue scientifique Psychological Science, il existe deux catégories principales : les “alouettes”, qui ont tendance à être plus productives le matin, et, à l’inverse, les “hiboux”, qui préfèrent se lever tard et font l’expérience inverse. En juin dernier, s’appuyant sur ces classifications, lors du festival littéraire et artistique de Hay au Pays de Galles, la journaliste scientifique Linda Geddes en appelait à l’introduction du flexi-travail. À l’heure où les jeunes actifs aspirent à plus de sens, à un meilleur équilibre vie personnelle et professionnelle et où ils mesurent le succès d’une entreprise à sa capacité d’engagement et à sa contribution au progrès social, l’avenir appartiendrait-il nécessairement à ceux qui se lèvent tôt ?
Rien n’est moins sûr quand on sait que les hiboux représentent 40 % de la population mondiale. Pourtant, malgré les différents chronotypes, demander aux individus de travailler à des horaires identiques pourrait être contre-productif. Paul Kelley, professeur britannique en neurosciences et spécialiste du sommeil, en est convaincu : il parle même de “torture”. Selon lui, aller à l’encontre des rythmes biologiques entraînerait des conséquences néfastes sur la productivité, l’humeur et la mémoire.
Les résultats d’une enquête JLL-CSA, publiée en mars 2015, intitulée Performance des collaborateurs & Environnement de travail, vont dans ce sens. Lorsqu’il s’agit d’évoquer le bureau idéal, les besoins exprimés des salariés font écho à ceux évoqués dans la pyramide d’Abraham Maslow, développée dans les années 40, à savoir : les besoins physiologiques, de sécurité, d’appartenance, d’amour, d’estime et d’accomplissement de soi. Selon Maslow, on ne peut agir sur les motivations « supérieures » d’une personne qu’à la seule condition que celles dites primaires (besoins physiologiques et de sécurité) soient satisfaites.
Les “alouettes” se comportent de manière moins éthique le soir
La question peut alors se poser : les entreprises n’auraient-elles pas à y gagner si elles s’adaptaient aux rythmes biologiques de leurs collaborateurs ? Cela ne fait aucun doute pour Linda Geddes qui le “flexi-travail” indispensable pour l’épanouissement et la productivité des lève-tôt et des noctambules. La journaliste scientifique va plus loin : elle souligne que si un manager appartient à la catégorie des “alouettes” et son subordonné à celle des “hiboux”, il aura tendance à le juger moins performant en le voyant arriver plus tard le matin au bureau. Pourtant, pour Pierre Moniz-Barreto, auteur du livre “Slow Business, Ralentir au travail et en finir avec le temps toxique“, “hibou” et “alouette” sont complémentaires dans le travail en équipe.
Autre fait intéressant : le manque de sommeil peut pousser une personne à se comporter de manière plus contraire à l’éthique et déviante, en manifestant, par exemple, des signes de stress ou d’agressivité.
Le flexi-travail augmenterait la productivité
Adapter les horaires d’une organisation aux besoins des salariés serait-elle une idée farfelue ? Pas tant que cela. Depuis 2014, il existe d’ailleurs au Royaume-Uni un droit au flexi-travail. Dans son livre Chasing the Sun, Linda Geddes avance que le travail flexible contribuerait à augmenter la productivité en entreprise, ainsi que la santé et le bonheur des salariés. Une telle approche pourrait créer un environnement de travail plus harmonieux et moralement plus sain.
La gestion du temps semblerait être une clé. Pat Brans, professeur à l’école de commerce Grenoble EM et consultant en time management, explique dans son livre “Master the moment : 50 CEOs teach you the secrets of time management », que les élèves qui obtiennent de bons résultats ne sont pas nécessairement plus intelligents ou ne font pas forcément plus d’efforts que les autres. La différence est qu’ils sont plus prudents dans l’utilisation de leur temps. Il remarque d’ailleurs que les dirigeants d’entreprise sont particulièrement attentifs à leur horloge interne et savent que le moment où ils pensent est aussi important que ce qu’ils pensent. Selon lui, pour augmenter sa productivité et maximiser son potentiel, il suffit de s’analyser pendant trois journées de travail type non-consécutives pour identifier ses moments de concentration, d’écoute et de prédisposition à l’optimisme.
L’expérience du psychologue-clinicien américain Michael Breus confirme cette théorie. Alors qu’une de ses patientes, souffrant d’un manque de sommeil, lui confie qu’idéalement il lui faudrait s’endormir à 1 heure du matin et se réveiller à 9 heures, il contacte son employeur pour qu’elle puisse arriver chaque jour une heure et demie plus tard. Une semaine après, son patron constate une hausse de sa productivité.
La lumière source de motivation ?
Autre aspect à considérer au-delà de la catégorisation “alouettes” et “hiboux” : les changements de saison. La grande majorité des dépressions sont observées l’hiver et commencent fin octobre-début novembre, souvent à l’entrée dans l’hiver. Nombreux sont ceux qui constatent alors une baisse de moral et de motivation, une fatigue physique, des signes d’irritabilité… En cause ? Le manque de lumière qui entrave la régulation du corps et l’optimisation des capacités. L’horloge biologique perturbée par des journées plus courtes ralentit son rythme.
Selon un article paru sur le site Le Temps, « pour régler notre “pendule interne”, les experts conseillent trente minutes d’exposition quotidienne à 10 000 lux (l’unité qui mesure l’éclairement lumineux), étant précisé qu’en été, le soleil émet près de 50 à 100 000 lux et, qu’en hiver, cette quantité chute à 1 000 à 2 000 lux. Nos bureaux, quant à eux, sont rarement éclairés de plus de 300 lux. »
Le personnel de l’administration des services généraux américaine en a fait l’expérience. Les employés exposés à davantage de lumière du jour, en particulier le matin, mettaient moins de temps à s’endormir, dormaient plus longtemps et étaient de meilleure humeur. Les salariés qui voyaient plus de lumière entre 8 heures et minuit dormaient 20 minutes supplémentaires et s’endormaient en 18 minutes en moyenne (par rapport aux 45 minutes de leurs collègues).
Dans ce contexte, exiger d’un “hibou” d’être efficace de bon matin, qui plus est en plein mois de janvier, ne reviendrait-il pas à lui demander de lutter contre sa propre nature ?
Suppression des codes vestimentaires, développement du télétravail, nouveaux rapports au travail… sont des concepts qui sont en train de bouleverser le monde du travail d’autant plus rapidement avec l’arrivée des nouvelles générations. Pourquoi pas le flexi-travail ?
Cet article a été initialement publié sur Instant RH.
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