Bien être au travail, les entreprises peuvent mieux faire

9 février 2013

En un quart de siècle, le travail a radicalement changé. Nouvelles techniques de management et nouvelles technologies de l’information et de la communication ont bouleversé le quotidien des salariés.

Résultat, les Français éprouvent un mal-être que les entreprises ont longtemps mésestimé.

Le bonheur professionnel ne va pas de soi. « Les Français sont majoritairement frustrés, car ils idéalisent leur travail, sans en être satisfaits », résume Pierre-Éric Sutter, qui dirige l’Observatoire de la vie au travail (OVAT).

Bien être au travail, les entreprises peuvent mieux faireD’autant plus que les salariés ont une perception contradictoire de leur quotidien. 61,2 % déclarent avoir un « bon moral », mais la moitié d’entre eux trouvent que le climat social au sein leur entreprise n’est pas favorable. Ils sont aussi 46,4 % à se sentir exposés au stress et 49,3 % jugent insuffisante la qualité du management, selon l’enquête 2012 de l’OVAT.

Ce mal-être, et ses nombreux symptômes – démotivation, incompréhension, dépression, burn-out, etc. – ont longtemps été un sujet tabou dans les entreprises, souvent relégué à la sphère privée.« La mobilisation est plus forte depuis quelques années », constate toutefois Julien Pelletier.

Responsable de la veille et de la prospective internationale à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), il estime que « la prise de conscience remonte à la vague de suicides chez France Télécom », en 2008.

L’obligation d’agir

Les 250 sociétés françaises de plus de 1 000 salariés ont depuis été sommées d’ouvrir des négociations sur la prévention du stress. Quant aux autres, « elles sont confrontées à l’obligation de s’en préoccuper en raison du coût économique et humain de la progression des risques psychosociaux », considère le sociologue Vincent de Gaulejac, auteur de plusieurs ouvrages sur les mutations du travail.

Absences, accidents, maladies, le cabinet Mozart Consulting estime ainsi que les entreprises perdent en moyenne 23 % de leur valeur ajoutée à cause du mal-être de leurs employés.

Quelques-unes n’ont pas attendu que les pouvoirs publics tirent la sonnette d’alarme, ou que les partenaires sociaux aboutissent à la conclusion d’un accord sur la qualité de vie au travail, prévue en mars prochain.

Chez Ferrero, par exemple, « nous partons du principe que pour être bon au travail, il faut s’y sentir bien », explique le manager RH Henri Godenne, qui met en place des dispositifs pour permettre à ses collaborateurs de « mieux concilier vie privée et vie professionnelle ».

Les 1 200 salariés de la filiale française du groupe italien bénéficient d’une garderie ouverte les mercredis et durant les vacances scolaires. Ils disposent aussi de places réservées dans une crèche interentreprises ainsi que d’un service de conciergerie qui se soucie de leurs tracas quotidiens (courses, pressing, courrier et colis, etc.).

Bien dans son corps, bien dans sa tête

D’autres employeurs ont choisi de soigner leurs employés en créant une salle de sports dans leurs locaux, à l’aide de programmes de remise en forme ou de séances de coaching nutritionnel.Bien être au travail, les entreprises peuvent mieux faireCertains préfèrent plutôt se préoccuper de leur santé mentale à travers des formations sur la gestion du stress, des consultations anonymes auprès de psychologues ou encore des cours de yoga.

Ces services additionnels, qui tendent à se multiplier, « l’Anact n’est pas contre évidemment », indique Julien Pelletier, « mais ce n’est pas suffisant. » Il souligne que le mal-être au travail trouve essentiellement son origine dans la perte de sens et de repères induite par les nouvelles méthodes de management.« On a multiplié les outils de gestion et de suivi de la performance qui ont éloigné les managers de la réalité du travail. » Ces derniers étant orientés objectifs et résultats à court terme, « ils ont perdu de vue l’essentiel : la gestion humaine de leurs équipes », considère le responsable de l’Agence qui commence à sentir un frémissement sur cette question.

Changer de paradigme

Pour Vincent de Gaulejac, l’ensemble des services actuellement offerts aux salariés ne soigne effectivement que les symptômes, sans guérir la cause de leur malaise.Bien être au travail, les entreprises peuvent mieux faire

La gestion par objectifs, par centre de profits ou par projets, l’approche client, les flux tendus, la culture de l’urgence, la multiplication des procédures de reporting ou encore la quantophrénie*, « ces nouvelles formes de gouvernance dans les entreprises ont renforcé la tension psychique qui s’exerce sur les salariés », affirme le co-auteur du Manifeste pour sortir du mal-être au travail**.

Le sociologue clinicien prône une nouvelle révolution managériale, en appelant à un sursaut d’humanisme. Il demande aux managers d’être davantage des organisateurs, et des médiateurs, que des prescripteurs de solution idéale.

Il encourage aussi les entreprises à créer des espaces de concertation et de réflexion pour redonner du sens aux salariés. Il conviendrait enfin de « réintroduire de la démocratie au cœur des organisations et de redonner du pouvoir aux salariés », écrit-il dans Travail, les raisons de la colère***.*Quantophrénie : pathologie consistant à vouloir traduire systématiquement les phénomènes sociaux et humains en langage mathématique.**Manifeste pour sortir du mal-être au travail (2012), par Antoine Mercier et Vincent de Gaulejac, aux éditions DDB.***Travail, les raisons de la colère (2011), par Vincent de Gaulejac, aux éditions Seuil.Geoffrey Dirat pour Expectra 

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