La stratégie des « petits pas »

#bien-être au travail #motivation

13 octobre 2016

À l’approche de la quarantaine et ensuite ça empire, une petite musique vient chaque matin vous envahir le cerveau, sorte d’acouphène existentiel qui vous dit «est-ce que tu fais vraiment ce que tu devais faire dans la vie ?».

On se retourne sur sa première vie, on compte les bouses (bien que la foire aux vaches ne soit pas terminée) et on se dit qu’il est peut-être temps de prendre des décisions majeures sur qui l’on est, ce que l’on veut et où l’on va passer les quarante prochaines années, si un cancer ou un terroriste veulent bien nous laisser tranquille.

Je ne parle ici que de décisions professionnelles, mais à bien observer son conjoint ou sa conjointe, il y a également de quoi gamberger. Mais c’est un autre sujet. Cette question existentielle, je me la suis donc posée à quarante-deux ans et j’ai décidé d’y répondre.

Qu’avais-je fait ou ne pas fait qui devait être solutionné sous peine de nourrir des regrets immenses et de pourrir sur une chaise de bureau dans d’atroces souffrances ?

Le théâtre !

Quand j’avais 18 ans, je rêvais de monter sur les planches. Mais mille bonnes raisons m’en ont éloigné. Le chemin que vous prenez s’impose, avec ses rencontres, ses diplômes, ses salaires et peu à peu, vous vous installez dans un autre destin qui n’est pas si mal au fond. Votre rêve d’origine reste en tache de fond, mélange de fantasmes et de regrets. Je suis donc devenu consultant, puis concepteur-rédacteur, puis directeur de création, entrepreneur et enfin producteur dans l’audiovisuel. Au cours de ce voyage professionnel, je me suis débrouillé assez souvent pour m’approcher de mon vieux rêve en jouant la comédie (à la télévision, à la radio et sur le net). Mais, c’était toujours un bonus, une application d’un business, une production : jamais le cœur de ma passion. Il fallait que ça change… Quand on a un vrai job, un bon salaire, un business qui tourne, il est délicat de tout plaquer pour vivre sa passion. D’ailleurs, je ne le recommande pas. Pour ma part, j’ai inventé la stratégie du « petit pas ». Vous rêvez de devenir pâtissier dans un food truck à Buenos Aires, mais vous êtes expert en réassurance à Courbevoie ? Pas de souci, mais ne plaquez pas tout d’un coup. Allez-y par petits pas ! Commencez par vous taire et prenez des cours du soir. Passez un C.A.P. par correspondance et vivez votre projet dans la concentration du secret. Si vous le dites à tout le monde, ça ressemblera à un démon de midi, un « pétage » de plomb existentiel, une résolution d’ivrogne, une lubie avant le burn-out. Si c’est sérieux, c’est secret. Petits pas après petits pas, vous construisez votre projet pour la version 2 de vous-même. J’ai donc écrit ma pièce pendant un an, le soir après le travail. Puis je me suis dit que si j’y allais seul, j’irais dans le mur. Je suis allé au culot demander à Michèle Laroque de me mettre en scène. Je l’avais croisée une fois dix minutes sur un plateau TV et je l’avais « surkiffée ». Cette femme d’une générosité rare a accepté, pour le défi.

En douceur et dans la plus grande discrétion, j’ai répété plusieurs mois à ses côtés avant que cela devienne réel : elle m’a emmené jusqu’au Point Virgule et m’a permis de vivre ce rêve pendant trois ans.

Trois ans à poser une réalité sur un fantasme. Pendant ces trois ans ? j’ai moins gagné ma vie, c’est mathématique. Quand vous habillez Paul, vous déshabillez Jacques. Il y a un moment où il faut choisir entre des réunions clients et une répétition de la mise en scène, entre un projet pour la télé ou une tournée en province. Donc vous gagnez moins, financièrement, mais vous vous sentez tellement vivant ! Après trois ans de théâtre, je sais désormais ce que j’aime et n’aime pas dans ce métier. J’aime ce moment unique où vous êtes en cohérence avec le public, dans une sorte d’onde bienveillante et porteuse. Je n’aime pas tout ce qu’il y a autour, la billetterie, les contrats, les angoisses en loge, les retours à la maison sous la pluie, le choc thermique avec le réel.

À moi désormais de trier le bon grain de l’ivraie, mais je connais la conclusion. J’ai bien fait d’y aller par petits pas ! Car je sais aujourd’hui que j’aime le théâtre, mais pas forcément pour en vivre. Il est fort possible que je réécrive une pièce et que je la joue d’ici quelques mois, mais désormais je sais pourquoi : comme un loisir de compétition, comme une surcouche de plaisir qui rend les journées plus complètes, mais pas comme une vie dédiée.

Je sais que d’autres voyages m’attendent, tout aussi riches et je sais aussi, désormais, que la stratégie du petit pas fonctionne. Essayez ! Vous m’en direz des nouvelles…

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